Notre pays se veut un champion en Europe de la production d’agrocarburants. En 2008, l’objectif français est un taux d’incorporation de 5,75 %, soit environ 3 millions de t. d’agrocarburants. Il doit être porté à 7 % en 2010.
Au niveau mondial, la production (chiffres 2006-2007) était de l’ordre de 60 millions de m3, soit environ 1,3 % de la production mondiale d’hydrocarbures.
Cependant, la promotion de cette filière énergétique, tant en France qu’au niveau planétaire, suscite d’importantes interrogations : intérêt environnemental controversé, mise en cause de la sécurité alimentaire mondiale, pillage de fonds publics dans notre pays.
Un intérêt environnemental controversé
Les agrocarburants, anciennement et improprement appelés « biocarburants », ont fait l’objet en France dans les années 90, d’une intense campagne de promotion de la part des lobbies céréaliers, betteraviers, puis maïsiculteurs. A l’époque, la faiblesse des prix internationaux des céréales, du sucre nécessitait l’octroi d’importantes subventions pour les exportations françaises de ces produits. Comme ces subventions faisaient l’objet de critiques tant au sein de l’UE (coût de la PAC jugé excessif) que de la part d’autres pays agro- exportateurs, les lobbies de l’agrobusiness français ont estimé que les agrocarburants, susceptibles d’être fortement subventionnés, pouvaient constituer une alternative intéressante. D’où, au départ, une survalorisation des qualités environnementales des agrocarburants, censés ne pas émettre de CO2 à partir du raisonnement simpliste suivant : la croissance de la plante cultivée pour les agrocarburants absorbe du CO2, celui-ci est restitué lors de la combustion des dits agrocarburants, donc le bilan absorptions/émissions de CO2 est nul. Les critiques n’ont pas tardé, puisque la culture de plantes à des fins industrielles (tracteurs, engrais, pesticides, transport de la récolte vers l’unité industrielle de transformation en agrocarburants, etc.) implique des émissions de CO2 venant sérieusement dégrader ce bilan.
Par ailleurs, si l’on veut procéder à une évaluation sérieuse, il faut effectuer une comparaison avec le bilan CO2 de l’affectation antérieure de la parcelle. Si celle-ci était en jachère, elle avait un bilan positif d’absorption nette de CO2 qui disparaît avec son affectation à une culture à finalité agrocarburants, ce qui détériore encore le bilan global CO2 de celle-ci. Si l’on applique cette même méthode aux agrocarburants produits par exemple en Malaisie ou Indonésie après destruction de la forêt tropicale sur les parcelles concernées, plantation de palmiers à huile, transport de l’huile de palme ou des agrocarburants vers des marchés éloignés, il est quasi-certain que le bilan CO2 devient alors carrément négatif. Idem au Brésil où l’extension des cultures pour agrocarburants (canne à sucre), repousse les autres cultures vers des zones défrichées par destruction là aussi de la forêt tropicale, très important capteur de CO2 (N. Hulot, dans une émission récente, commentait ces processus en disant que le capitalisme était en train de détruire ce bien commun essentiel pour la survie de l’humanité).
En bref, dans notre pays, nous nous trouvons depuis une quinzaine d’années devant une série d’études aux résultats contradictoires, mais avec une forte présomption d’un faible intérêt environnemental des agrocarburants. Cette présomption s’est aggravée dans la dernière période avec les travaux de Paul Crutzen, Nobel de chimie 1995, certifiés par une équipe internationale, montrant que les agrocarburants pouvaient contribuer jusqu’à 1,7 fois plus que les carburants fossiles à l’effet de serre (prise en compte du protoxyde d’azote –NO2, mal évalué jusque là et à effet de serre très puissant). Des scientifiques français confirment aussi cette appréciation négative.
Par ailleurs, cette vaste extension prévisible de zones en monoculture à vocation agro-industrielle contribue à accroître les atteintes à la biodiversité. Pour notre pays, cela va à l’encontre de « l’engagement international qu’a pris la France de stopper l’érosion de la biodiversité en 2010 ».
Bref, il y a plus que des doutes, en fait de fortes présomptions sur l’absence d’intérêt environnemental réel des agrocarburants et l’urgence d’études scientifiques sérieuses à leur sujet, à la fois au niveau national, mais aussi au niveau planétaire, est incontestable.
L’impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale
Les agrocarburants ne représentaient en 2007 que 1,3 % de la production mondiale d’hydrocarbures liquides et pourtant déjà leur montée en puissance paraît perturber sérieusement la sécurité alimentaire mondiale. Elle a coïncidé en effet avec une hausse des prix spectaculaire des prix mondiaux du blé, du riz, du maïs. Celle-ci a abouti à des émeutes de la faim dans plus de 30 pays.
Or, selon un rapport très récent de la Banque mondiale tenu jusqu’ici confidentiel, mais dévoilé par « The Guardian » du 4 juillet, sur une augmentation moyenne mondiale de 140 % des prix alimentaires, 75 % seraient dus aux pénuries causées par le détournement des surfaces cultivables vers les agrocarburants, le restant provenant d’une phase de mauvaises récoltes et de la faiblesse des stocks mondiaux. Ce détournement est particulièrement fort aux USA où 25 % de la production de maïs va désormais aux agrocarburants, et où ce processus s’étend rapidement. Cette situation a conduit le New York Times (6.07.08) à parler de famines entièrement créées par les décisions occidentales. Il est donc peu discutable que la poursuite de l’expansion rapide des surfaces agricoles cultivées en biocarburants à l’échelle planétaire risque de conduire à une catastrophe du point de vue de la sécurité alimentaire mondiale. Or, cette expansion rapide est favorisée, non seulement par les politiques gouvernementales incitatives (fortes subventions) dans divers pays occidentaux (USA, UE), mais aussi par la flambée des prix des carburants fossiles qui rend la production d’agrocarburants de plus en plus rentable.
Les cris d’alarme des organisations internationales
Outre le rapport de la Banque mondiale que nous venons d’évoquer, cette situation a conduit d’autres organisations internationales comme la FAO, l’OCDE, la division énergie de l’ONU à émettre de sérieuses mises en garde contre cette évolution. Si la FAO a exprimé ses inquiétudes à propos de la mise en cause de la sécurité alimentaire mondiale, sa dernière Conférence, dont on attendait une prise de position ferme à ce sujet, a été décevante de ce point de vue puisqu’aucune mention des agrocarburants ne figurait dans la déclaration finale. Il faut dire que nombre de pays membres de la FAO sont engagés dans des politiques actives de développement des agrocarburants. USA, pays de l’UE, mais aussi Brésil, Inde, Chine ainsi que de nombreux pays du « Sud » (Malaisie, Indonésie, Vietnam, etc.). D’où l’impossibilité de parvenir au consensus nécessaire.
L’absence d’études internationales objectives indiscutables a certainement aussi pesé lourd.
Paradoxalement, c’est l’OCDE qui a l’attitude la plus responsable et la plus ferme en la matière, sans doute parce qu’elle mesure mieux la gravité des conséquences géopolitiques qui pourraient découler à terme de telles orientations. Ses prises de position ont été en tout cas sans équivoque. L’OCDE estime en effet que si les agrocarburants atteignaient 13% des carburants consommés sur le plan mondial (soit dix fois les quantités produites actuellement), le gain sur les émissions de GES ne serait au mieux que de 3%, au prix de très graves problèmes de sécurité alimentaire mondiale. (rappel : obligation de réduire de 50% d’ici 2050 les émissions planétaires de CO2). Le Directeur agriculture de l’OCDE, S. Tangerman, (voir article Libération du 9.06.08) a donc demandé récemment de réduire d’une manière drastique les subventions à la production d’agrocarburants. Pendant ce temps, la Commission européenne continuait jusqu’à ces derniers jours à prôner très activement le développement de la production d’agrocarburants au sein de l’UE et à nier leur impact sur les prix alimentaires. Il est permis de penser qu’en la matière, les tares habituelles de la Commission, à savoir sa soumission aux lobbies affairistes divers, en l’occurrence ici celui particulièrement puissant de l’agro business, ont joué un rôle tout à fait négatif. On a observé d’ailleurs le même processus aux USA. Cependant, cette accumulation de prises de position internationales a fini par ébranler les ministres européens de l’énergie qui ont demandé récemment à la Commission de réviser sa position en abaissant ses objectifs agrocarburants et en observant un moratoire, tant que les choses ne seraient pas éclaircies (NYT 8.07). Le Parlement européen s’est exprimé dans le même sens. Cette situation nous conduit logiquement à évoquer maintenant le « scandale » des subventions à la production d’agrocarburants.
Subventions à la production d’agrocarburants et pillage de l’argent public
Rappelons brièvement le contexte initial dans lequel ont été décidées dans notre pays les premières subventions à la production d’agrocarburants. Au prix du baril de l’époque (25 à 30$), les agrocarburants n’étaient pas compétitifs et nécessitaient pour être produits d’importantes subventions. En 2003-2004, l’évaluation était que les agrocarburants ne deviendraient compétitifs par rapport aux carburants classiques que quand le prix du baril atteindrait 70 à75 $. Evidemment, quand le prix du baril a atteint ce niveau, on a vu apparaître de nouveaux arguments pour justifier encore les subventions. Il n’en demeure pas moins qu’avec un prix du baril évoluant désormais entre 120 et 140 $, subventionner les agrocarburants, indépendamment de tous les autres arguments déjà soulevés, n’a très probablement plus aucune justification économique sérieuse. Or, quel est le niveau des aides publiques qui vont être attribuées en France en 2008 à la production des agrocarburants ?
Celle-ci reçoit en fait trois types d’aides publiques :
- a) Des exonérations partielles de TIPP qui sont apparemment de l’ordre de 0,27 €/l en moyenne en 2008. Selon l’Union française des industries du pétrole (UFIP), ces « différenciations », comme l’UFIP les appelle élégamment, atteindront en 2008 la bagatelle de 1,09 milliard d’euros. (voir « La fiscalité sur les produits pétroliers en France TIPP, TVA, TGAP » - UFIP- Mai 2008).
- b) Une exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour les carburants à hauteur des incorporations des % requis d’agrocarburants. (Montant à vérifier pour 2008, mais qui, d’après les chiffres de l’UFIP, devrait être de l’ordre de 160 millions d’€).
- c) Des aides directes aux agriculteurs en fonction des surfaces consacrées à la culture des plantes à finalité agrocarburants. Ces aides varient selon qu’il s’agit de surfaces déjà cultivées, auquel cas l’aide est de 45 €/Ha ou de surfaces en jachère pour lesquelles l’aide à la jachère est maintenue (350 €/Ha) malgré la mise en culture des parcelles concernées. Comme en 2008, les surfaces cultivées à finalité agrocarburants atteindront dans notre pays 2 millions d’Ha, le montant des aides directes aux agriculteurs atteindra au minimum 90 millions d’€. Au total, on peut donc dire que le montant des aides publiques à la production d’agrocarburants atteindra au minimum en 2008 1,35 milliard d’€ et plus vraisemblablement environ 1,5 milliard d’€ en fonction des terres en jachère utilisées.
Nous nous trouvons donc devant un authentique scandale où des activités devenues à coup sûr intrinsèquement fort rentables continuent à recevoir, malgré tout, un fort contingent d’aides publiques, tandis que leur finalité initiale est de plus en plus mise en question.
Propositions alternatives
Sans entrer ici dans le détail de celles-ci, trois points essentiels devront être visés :
1) Obtenir du gouvernement français des informations officielles sur le montant exact des aides publiques, quelles qu’en soient les diverses formes et les attributaires, versées dans notre pays à titre de soutien à la production d’agrocarburants.
2) Faire la clarté, sur la base d’études scientifiques indiscutables, sur le bilan réel environnemental (réduction ou non des émissions de GES, maintien de la biodiversité, de la qualité des sols, etc.) et socio-économique des agrocarburants, tant au point de vue national que planétaire (rôle de l’ONU et création de l’Organisation internationale de l’énergie (OIE)).
3) En attendant le résultat de ces études, moratoire sur le développement des agrocarburants et réduction drastique du montant des aides publiques sur deux ans avec affectation des ressources ainsi dégagées à des aides compensant significativement la hausse des carburants d’origine fossile, aides à attribuer aux professions et catégories sociales les plus touchées par la dite hausse.
Paul Sindic
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