Y a-t-il réellement un problème des retraites ?


(Le texte qui suit était une contribution à un « Forum sur l’avenir des retraites »

d’avril 2003. Il ne me paraît malheureusement pas avoir pris beaucoup de rides)

Si l’on s’en tient à l’actualité politique et sociale, cela paraît indubitable (annonce de réformes d’envergure, réunions multiples, manifestations, empoignades gouvernement - organisations syndicales, etc., le tout au nom d’une soi-disant urgence qui ne laisserait pas d’autre choix que d’opérer des révisions drastiques dans le système actuel des retraites).

Mais si l’on va à l’essentiel, ç. à d. la manière dont une fraction de la valeur ajoutée nationale créée chaque année est attribuée à la catégorie sociale des retraités, il paraît beaucoup moins certain qu’il y ait réellement un problème des retraites. Tout dépend en effet de la problématique selon laquelle la question est posée.

a) Données macro-économiques nationales

En effet, si l’on remonte au début des années 80, à partir desquelles le problème dit « des retraites » a commencé à apparaître, sous l’impulsion de campagnes médiatiques patronales ou gouvernementales, quelle évolution constate-t-on sur le plan macro-économique ? Tout d’abord le rythme de croissance de la valeur ajoutée nationale est resté supérieur à celui de l’augmentation démographique. Donc, si nous avions maintenu les règles du partage de la valeur ajoutée nationale qui existaient au début des années 80 entre le bloc du travail (salariés actifs, chômeurs, retraités), qui a suivi en gros numériquement le rythme de l’augmentation démographique, et le bloc du capital, chacun des salariés actifs, chômeurs, retraités aurait dû normalement avoir droit à une augmentation de ses revenus réels, sous condition de règles de répartition adaptées liées au fait qu’à l’intérieur du bloc du travail l’importance respective des catégories de salariés actifs, chômeurs, retraités a varié. Bien mieux, personne ne prévoyant que dans notre pays, sur longue période, le rythme de croissance économique puisse devenir inférieur à celui de l’augmentation démographique, les bases d’une augmentation régulière des revenus de chaque salarié actif, chômeur, retraité existent indubitablement pour les décennies à venir, mais toujours sous conditions de règles de répartition adaptées.

Dans le fond, il s’agit de répondre d’une manière un peu plus élaborée à la réflexion de bon sens : Comment se fait-il que dans un pays dont la richesse globale ne cesse de croître, des catégories sociales entières devraient voir leurs conditions de vie se dégrader, sinon du fait de problèmes de répartition de la richesse globale ?

b) Problématique du capital

En fait, le problème de l’avenir des retraites n’existe que dans la problématique que la classe dirigeante économique et politique a réussi rendre dominante dans les medias et dans la discussion publique à propos des retraites.

Dans cette « problématique du capital », comme nous l’appellerons pour simplifier, la question de la répartition de la valeur ajoutée nationale entre le capital et le « bloc du travail » n’est pas posée et ne doit pas l’être. En particulier, la dégradation de plus de 10 % de cette répartition de la valeur ajoutée nationale au profit du capital et au détriment du « bloc du travail » entre 1980 et la fin des années 90 est ignorée, comme doivent l’être la confiscation permanente des gains de productivité du travail par le capital au détriment du « bloc du travail », via la désindexation des salaires, la précarisation d’une fraction importante du salariat et, bien entendu, l’éjection des activités productives d’un nombre important de chômeurs.

Si l’on accepte que ces questions ne soient pas posées, alors on se trouve forcément pris dans une fausse problématique où l’augmentation relative du nombre des retraités du fait de l’allongement de la durée de vie, tandis que la masse salariale des salariés actifs, base unique des cotisations tant salariales que patronales pour financer les retraites par répartition, est, elle, en diminution relative au sein de la fraction de la valeur ajoutée nationale attribuée au « bloc du travail », aboutit forcément à terme à des mesures d’ajustement telles que celles qui sont effectivement discutées aujourd’hui (allongement de la durée de cotisation, diminution des retraites, etc.).

Pour employer un langage de fait divers, tout se passe comme si l’auteur du hold-up qui a vidé en bonne part le coffre-fort de la banque venait ensuite se plaindre que la caisse est vide et demander que les petits dépositaires se serrent la ceinture pour la remplir à nouveau. L’opinion publique jugerait cela d’un cynisme révoltant. Or, c’est d’un cynisme tout aussi révoltant que la classe dirigeante fait preuve dans sa problématique des retraites.

Même en laissant de côté la morale commune, l’auteur du hold-up aurait-il réinvesti utilement l’argent volé ? Pas du tout. Il a au contraire gaspillé des centaines de milliards dans des stratégies de croissance financière internationale marquées d’échecs retentissants (Crédit lyonnais, Vivendi, France Telecom, etc.) en délaissant largement l’investissement national.

Or, globalement, il me semble que, tout au moins si l’on en juge par leurs déclarations publiques, les organisations syndicales, sous couvert de réalisme, de technicité, de discussions d’experts, se sont laissées assez largement enfermer dans cette fausse problématique. Seule la proposition de la CGT d’un financement complémentaire des retraites par création d’une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises tente d’y échapper, mais on n’a pas l’impression qu’il s’agit d’un point central pour cette organisation. La même remarque me paraît valoir pour les organisations politiques progressistes, avec là aussi, me semble-t-il, un déficit d’analyse de classe sur cette question.

c) Les alternatives possibles

On peut regretter qu’il n’y ait pas eu jusqu’ici, vis-à-vis du grand public via les media de masse, formulation d’une alternative réelle, à partir des raisonnements élémentaires ci-dessus et de quelques projections économiques globales relativement simples basées sur un redressement, même partiel, du partage de la valeur ajoutée nationale entre le « bloc du travail » et le capital, découlant notamment :

- D’une politique nationale des activités productives dynamique visant à terme le plein emploi et un accroissement sensible de la valeur ajoutée nationale,

- D’une évolution des salaires incluant désormais les gains de productivité annuels, alternative faisant ainsi la démonstration économique qu’il n’y a aucun problème réel pour maintenir la retraite à 60 ans, ramener la durée de cotisation à 37,5 ans et revenir à une indexation des retraites sur les salaires et ce, dans la longue durée, le bouclage du système étant éventuellement assuré par une taxe, probablement modeste, sur les profits des entreprises.

Mais existe-t-il réellement, tant chez les organisations syndicales que politiques, la volonté de mener une telle bataille ? « That is the question », comme disait un auteur célèbre.

Paul Sindic

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