Le dernier bond en avant spectaculaire du prix du pétrole à 139$/baril illustre l’extrême nervosité qui règne dans les milieux financiers occidentaux à propos du prix de cette matière première, chez toutes les entités financières impliquées dans la spéculation, bien entendu, mais aussi, bien au-delà, comme en témoigne la réunion convoquée en catastrophe ce week end au Japon des ministres de l’ énergie d’un G8 étendu à la Chine, l’Inde, la Corée du Sud pour débattre de ce sujet.
Qu’en est-il exactement et quelles sont les raisons de cette évolution rapide, mais aussi chaotique (cf. retombée du prix à moins de 120 $/baril quelques jours avant) ?
Ce qui paraît avoir mis le feu aux poudres, a été, fin mai – début juin, la parution de deux rapports d’analyse financière sur l’évolution probable du prix du pétrole brut, l’un venant de Goldman Sachs et prévoyant un pétrole à 200$/baril dans un délai de 6 mois à deux ans, l’autre de Morgan Stanley prévoyant la possibilité d’un pétrole à 150 $/b dès le mois de juillet prochain.
Les raisons avancées se rejoignent dans les deux rapports :
La demande mondiale continue à être tirée nettement en avant par le fait que dans la plupart des pays producteurs non - occidentaux, ainsi qu’en en Chine et en Inde, le prix interne des hydrocarbures est décroché du prix international. L’afflux de recettes en devises dans ces pays producteurs dynamise l’accroissement de la demande, ainsi que la forte croissance en Chine et en Inde. Notons cependant que la Chine connaît un tassement de sa croissance et par rapport à son dernier record de croissance à 11,5% envisage désormais une croissance à 8,5 - 9 % en 2009. L’Inde dont les marges de manœuvre sont plus faibles (production de pétrole propre relativement modeste) vient de rehausser son prix intérieur. Parallèlement, il y a un certain tassement de la demande des pays de l’OCDE, mais qui, fin 2007, restait tout à fait limité.
- En face, l’évolution de l’offre mondiale pose de plus en plus de problèmes. Rappelons qu’en 2007, l’ensemble de l’offre mondiale hydrocarbures ( pétrole brut + condensats extraits du gaz+ biocarburants) a été inférieure à la demande de 50 millions de t/an. Même si début 2008, l’accroissement de la production OPEP a apparemment comblé ce déficit, les menaces géopolitiques sur des grands pays producteurs ont fait à nouveau monter la tension. Dans les deux rapports sont clairement identifiés, d’une part, les déclarations d’Israël à propos du « caractère inévitable » du bombardement des installations nucléaires iraniennes, d’autre part, l’aggravation de la situation au Nigeria mettant en cause la production de Shell et maintenant celle de Chevron, et les regains de tension à la frontière turco - irakienne. Par ailleurs est noté un début de tension lié à la compétition entre Chine, Inde d’un côté et pays occidentaux de l’autre sur les approvisionnements d’origine moyen-orientale.
Par ailleurs, la confusion qu’entretenait jusqu’ici le poids d’un discours du lobby pétrolier US centré autour d’Exxon avec la négation de toute idée d’un plafonnement inévitable de la production pétrolière mondiale et l’affirmation de l’importance des réserves planétaires restantes (pétrole dit non-conventionnel à coût d’extraction élevé, voire très élevé (huiles lourdes, sables bitumineux), zones arctiques) permettant de décupler la production mondiale est en train de se dissiper. En effet, l’idéologie impérialiste qui sous-tendait ce discours, apparemment technique, était qu’une reprise en main politico-militaire de toutes les zones pétrolières significatives par les intérêts pétroliers occidentaux, suffirait à régler tous les problèmes. C’est elle qui était en fait derrière l’intervention en Irak.
Or, si l’existence de ces réserves est indiscutable, les contraintes de tous ordres qui pèsent sur la possibilité de les mettre en valeur dans des délais suffisamment rapides et dans des quantités suffisantes pour compenser le plafonnement et le déclin accentué de la production mondiale des gisements actuels, avec un décrochage réel par rapport à la demande, sont elles aussi une réalité (reprise en main des décisions d’investissement par les pays producteurs, contraintes environnementales liées notamment à la réduction des émissions de CO2, énormité des investissements qui seraient nécessaires à bref délai). C’est ce constat qui a conduit au changement de cap récent de l’AIE, prévoyant désormais un déficit offre-demande pour le pétrole de 600 millions de t/an d’ici 2015-2020.
Dans ces conditions, entre menaces géopolitiques à court terme d’interruptions de livraisons de pays comme l’Iran, le Nigeria, l’Irak et déficit d’offre important à l’horizon 2015-2020, pas étonnant que le prix s’envole. Même si son évolution restera probablement chaotique, la tendance de fond me paraît indiscutable et des prix de 150, 200 $, voire même plus, sont tout à fait probables.
La probabilité d’une récession économique mondiale avec son cortège de conséquences sociales et politiques gravissimes se renforce d’autant. Avec un prix à 80-100 $, conjugué à la crise immobilière, les USA ont déjà perdu près de 3 % de croissance et
Le pétrole à 139 $/baril
Paul Sindic, juin 2008
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